M. Lüfkens : « Donald Trump gouverne à coups de tweets sans aucun contrôle de ses conseillers »

Matthias Lüfkens est, depuis 2012, Directeur Digital Européen de l’agence de communication et de relations publiques Burson Cohn & Wolfe basée à Genève. Avant de rejoindre cette agence, Matthias était au World Economic Forum à Genève pendant huit ans. Il est à l’initiative de la présence du World Economic Forum sur les réseaux sociaux en 2006 avec le succès que l’on connait. Auparavant, Matthias était journaliste pour Euronews à Lyon et correspondant pour Libération dans les Pays Baltes.

Il intervient cette année à Performance Web pour parler de diplomatie digitale entre gouvernements et chefs d’état. Un sujet passionnant.

Le titre de votre conférence interpelle… qu’est-ce que la diplomatie digitale ?

La diplomatie digitale existe depuis bien longtemps maintenant. J’ai commencé à m’y intéresser en voyant les participants au World Economic Forum partager leurs réactions aux débats à Davos sur Twitter. Je me suis dit qu’il y avait une nouvelle dynamique avec des discussions en ligne et qu’il serait pertinent d’étudier la façon dont les chefs d’état et gouvernements utilisent Twitter. Aujourd’hui l’étude s’étend sur d’autres réseaux sociaux tels que Facebook, Instagram, …

D’après vos observations, comment utilisent-ils Twitter ?

Twitter est utilisé comme un véritable outil de communication. Donald Trump a 49 millions d’abonnés, Barack Obama en a +100 millions. Ils ont une plus grande audience sur les réseaux sociaux que sur le tirage total des journaux américains. Et puis, ils s’adressent directement à leur cible. Le premier chef d’état à ouvrir un compte est Barack Obama en 2007, qui était à l’époque un compte de campagne car il était encore sénateur. En 2008, il est élu et devient le premier président des Etats-Unis à avoir un compte Twitter. Il est à l’origine de l’ouverture d’un compte Twitter officiel pour le président américain et pour la maison blanche.

Dans les années 2010 et 2012, on voyait sur Twitter des échanges plutôt amicaux entre le président américain, B. Obama, et le président Russe de l’époque, Dmitri Medvedev. Depuis 2014, ces échanges ont pris une tournure moins diplomatique suite à l’annexion de la Crimée par la Russie et le conflit dans l’Est de l’Ukraine. Puis arrive D. Trump avec son propre compte Twitter, un compte de campagne qu’il continue à utiliser comme président. On peut dire qu’il gouverne à coups de tweets de 280 caractères avec des annonces surprises et un style qui lui est propre. Il fait exactement ce que j’ai toujours prôné, il gère son compte lui-même ! Sauf que je n’aurais jamais pensé qu’il gérerait un compte le matin à 6h quand il se lève ou tard le soir sans aucun contrôle de ses conseillers. Trump est un cas unique, la plupart des chefs d’état utilisent les réseaux sociaux de façon plus contrôlée.

Ce qui est intéressant dans cette étude c’est d’identifier le gouvernement le plus actif, le plus suivi mais aussi celui qui a le meilleur contact avec les autres. Ainsi, le service des affaires étrangères de l’Union Européenne est le mieux connecté sur Twitter avec plus de 120 contacts mutuels avec d’autres chefs d’état et gouvernements. Le ministère des affaires étrangères Russe arrive en seconde position. Les relations sur Twitter reflètent un peu les relations réelles. C’est l’essence même de cette diplomatie digitale.

Sont-ils présents sur d’autres réseaux sociaux comme Linkedin ou Instagram ?

Absolument. Instagram est le réseau qui a le vent en poupe. Il arrive en 3° position après Twitter et Facebook.

Sur 193 pays membres de l’ONU, 180 sont présents sur Twitter : chefs d’état, ministères, principalement ceux des affaires étrangères à 93%. 13 pays n’ont pas de présence comme la Chine, des îles en Océanie, quelques pays en Asie, la Corée du Nord, le Laos, Le Myanmar, le Kirghizistan et des pays d’Afrique. Twitter est véritablement le canal principal de la diplomatie digitale.

Facebook est utilisé par 90% des gouvernements. Ils ont deux fois plus de fans que d’abonnés sur Twitter. Facebook est l’outil idéal pour se créer une communauté de citoyens et de supporters notamment pour les hommes politiques. Facebook est moins utilisé pour les relations entre pays. On a un bel exemple d’utilisation de Facebook par la 1ère ministre de Nouvelle Zélande Jacinda Ardern. Elle est exceptionnelle, elle a 37 ans et sait parfaitement manier les réseaux sociaux. De temps en temps elle se met sur son portable en direct et pendant 5 mn elle explique ce qu’elle a fait dans la semaine et ce qu’elle fera la semaine suivante.

Arrive ensuite Instagram. 77% des pays de l’ONU ont une présence sur Instagram et ce qui est exceptionnel. Des ministères des affaires étrangères créent quotidiennement des Instagram stories, un contenu éphémère qui disparait au bout de 24h. On peut suivre les activités du ministre, ses RDV, ses « à côté », se sont des morceaux choisis. Le président Argentin, Mauricio Macri ou encore le 1er ministre Canadien, Justin Trudeau, le font très bien. J. Trudeau poste des stories en deux langues, un texte en français et un en anglais. Son activité est résumée en quelques images. Ce n’est absolument pas ennuyant et au contraire très intéressant. Je suis étonné de l’adoption d’Instagram et des stories surtout que les photos et vidéos n’ont pas besoin d’être de bonne qualité alors qu’en général ils s’efforcent d’avoir des vidéos bien chiadées qu’ils postent sur YouTube.

Alors que Twitter a doublé le nombre de caractères, sur Instagram vous avez surtout une nouvelle façon de communiquer par les images. C’est un copier-coller de Snapchat. D’ailleurs, une trentaine de gouvernements est sur Snapchat. Pourquoi ? Et bien, par exemple, le président Mauricio Macri s’est mis sur Snapchat il y a 3 ans quand il a été élu. Les prochaines élections auront lieu d’ici 2 ans et les jeunes qui avaient 15 ans à l’époque pourront voter. C’est une façon de toucher les jeunes électeurs.

La présence sur les réseaux sociaux est-elle devenue indispensable pour un actuel ou futur chef d’état ?

Je pense que oui mais il y a toujours des exceptions. Angela Merkel a une page Facebook, le gouvernement a une excellent page sur Instagram mais elle fait rarement des interventions et ne poste jamais elle-même. Elle est la seule dirigeante du G7 qui n’a pas de compte Twitter et elle a été réélue malgré son absence sur Twitter. Elle n’en a pas vraiment besoin et avec l’arrivée de D. Trump, je pense qu’elle n’a pas trop envie de s’y mettre. L’effet Trump en a quand même refroidi plus d’un parce qu’ils ont peur de se « Trumpiser ». Pour autant, même les ambassades et missions Chinoises en Suisse, en Belgique et à Washington ont une présence sur Twitter parce que si vous n’y êtes pas vous n’avez pas voix au chapitre.

D’ailleurs, cela ne concerne pas seulement les hommes politiques, chacun de nous a intérêt à s’enregistrer sur Facebook, Twitter et/ou Instagram juste pour savoir ce qui se passe dans le monde. C’est notre fenêtre sur le monde. Se sont les nouveaux journaux.

Pourquoi avoir accepté de parler de ce sujet à Performance Web ?

J’ai accepté l’invitation de Patrick Chareyre car j’aime apprendre de nouvelles choses et Performance Web permet cela. Je partagerai avec vous mes observations suite à notre étude. D’ici là, il y aura sûrement du nouveau dans l’usage des réseaux sociaux en Suisse. Le président actuel de la Confédération Suisse, Alain Berset, est d’ailleurs présent sur Facebook, Instagram et Twitter. Il gère lui-même l’activité de son compte, on l’a vu notamment lorsqu’il a posté une photo depuis les J.O de PyeongChang.